Les nuits d’été du Prix Bibliomedia

Jeudi 26 août, nous fêtions la remise du 42ème Prix Bibliomedia à Thomas Flahaut pour son roman Les nuits d’été, paru aux éditions de l’Olivier.
Retour sur cette soirée.

Allocution de Pierre Buntschu, président du jury

Monsieur le Président du Conseil de fondation,
Madame la Directrice générale de Bibliomedia,
Cher Laurent Voisard, Directeur de Bibliomedia Lausanne,
Monsieur le Lauréat,
Chères collègues membres du jury,
Mesdames et Messieurs les invités,

Un prix littéraire pas comme les autres ! C’est ce que veut être le Prix Bibliomedia.

Le Prix Bibliomedia a été instauré en 1979. Il a pour objectif de promouvoir la littérature de fiction romande auprès des bibliothèques romandes et de leur large public, comptant sur l’effet démultiplicateur de leur travail par la mise en valeur de l’œuvre lauréate au sein des bibliothèques. Il est le seul prix en Suisse à fonctionner de la sorte. Son palmarès est parlant (une liste complète se trouve sur le site de Bibliomedia).

Le Prix Bibliomedia récompense une œuvre de fiction, parue en français, d’une autrice ou d’un auteur de Suisse romande ou d’un autre pays résidant en Suisse romande. Il est doté d’un montant de 5’000 francs pour l’autrice ou l’auteur et une centaine d’exemplaires de l’œuvre récompensée sont achetés et distribués par Bibliomedia aux bibliothèques publiques en Suisse romande.

Pour chaque exercice, le jury, composé de bibliothécaires et de professionnel.le.s du monde du livre se réunit à trois reprises. Dans un premier temps, on dresse en commun l’inventaire des parutions qui répondent aux critères du prix, on partage les premières impressions, on se répartit certaines lectures. Lors d’une deuxième séance, le jury opère une sélection de 6 à 12 titres. Un lauréat est choisi lors de la séance finale.

Les 13 membres du jury ont eu beaucoup de plaisir à découvrir ou relire des nombreuses œuvres éligibles pour cet exercice, et en particulier les 9 ouvrages qu’ils ont sélectionnés pour la séance finale. Ils ont partagé ces lectures lors des discussions animées, marquées de curiosité, d’esprit d’ouverture et de respect pour la subjectivité et l’avis de chacune et chacun. Je remercie chaleureusement les membres du jury pour leur engagement.

La qualité des ouvrages retenus a beaucoup contribué à notre plaisir de lecture. Si vous ne les connaissez pas, j’aimerais vous inviter à découvrir ces œuvres très variées.

Un « journal » d’une randonnée en montagne, en groupe, éreintante, avec un guide géologue. Sur un thème assez banal, un livre très fin, plein d’humour délicat, d’autodérision.
Histoire d’un soulèvement de Laurence Boissier (art&fiction)

Un roman sur les rapports humains, sur la confiance et l’incommunicabilité, lors de la préparation d’un numéro de voltige à la barre russe ; un roman plein de silences, d’ellipses, de douceur et de tension.
Vladivostok Circus d’Elisa Shua Dusapin (Zoé)

Un roman qui parle de la lutte contre l’oubli, de la lutte pour ne pas perdre les mots, le passé qui s’effiloche. Le thème de la perte de la mémoire est rendu de façon concrète, pas « expliqué », mais montré, « narré », avec beaucoup de délicatesse.
Journal de l’oubli de Silvia Härri (Bernard Campiche)

Un thriller riche et âpre, sous forme de tragédie, qui se déroule dans l’univers des golden boys de la finance suisse à la fin des années 1980, avec un style narratif original. L’auteur intervient, apostrophe ses personnages et le lecteur, commente leurs choix, s’interroge sur l’écriture et le travail du romancier.
La soustraction des possibles de Joseph Incardona (Finitude)

Un livre court aux mots forts sur l’absence de racines des Lebensborn, ces enfants « parfaits » sélectionnés et élevés par les nazis, et sur l’impossibilité de reconnaître l’enfant victime du côté oppresseur.
La race des orphelins d’Oscar Lalo (Belfond)

Un recueil de 32 récits à géométrie variable en lien plus ou moins étroit avec les dents, avec un humour mordant (c’est le cas de le dire), une nonchalante ironie, le sens du burlesque.
Email diamant de Fabienne Radi (art&fiction)

Un roman qui raconte l’aventure de jeunes marginaux à la recherche d’un idéal. Bien écrit, simple et émouvant, il se lit facilement et pose sans l’air d’y toucher des questions fondamentales. Il incite à réfléchir à ce qu’implique de pouvoir ou non s’adapter aux codes et usages dominants de la société.
Mémoire d’une forêt d’Antoine Rubin (Torticolis-et-frères)

Un roman sur la solitude face à la mort de ceux qu’on aime. Dans une langue très simple, l’auteur crée une atmosphère comme suspendue, qui dilue la douleur en légèreté.
Un toit de Bernard Utz (D’autre part)

Et bien sûr, le livre que nous avons choisi,
Les nuits d’été de Thomas Flahaut (Ed. de l’Olivier)
que Matthieu Corpataux va vous présenter tout à l’heure.

Je vous souhaite de bonnes lectures.

Laudatio de Matthieu Corpataux

Cher-es invité-es, cher-s membres du jury Bibliomedia, cher Thomas,

On m’a chargé de dire quelques mots sur tes Nuits d’été, le roman lauréat du prix Bibliomedia 2021, publié aux éditions de l’Olivier, et j’ai accepté cette charge, qui m’honore, avec un grand plaisir ; et j’espère être à la hauteur de la tâche qui m’est confiée.

Dans la nuit du 12 au 13 août dernier, on pouvait observer, en levant les yeux, comme chaque année au mois d’août, la pluie des Perséides. C’est la grande pluie des débris de la comète Swift-Tuttle, des poussières qui entrent dans notre atmosphère à plus de 200’000 km/h formant un essaim d’étoiles filantes. Elles reviennent avec une régularité épatante – chaque année – au milieu du mois d’août.

Cette année, je n’ai pas observé les Perséides. Bon, d’une part parce qu’à Fribourg il pleuvait ; mais surtout parce que j’ai eu la chance de voir suffisamment d’étoiles filantes dans les Nuits d’été de Thomas Flahaut. Les vies de Mehdi, de Thomas, de Louise, mais aussi de Darty, François, Romuald, Nicolas, Steven et d’autres encore… sont autant de trajectoires filantes, débris lumineux, qui ont éclairé le ciel nocturne.

En réalité, je crois que Mehdi, Thomas et Louise, les trois personnages principaux, se rapprochent davantage de ces phares de moto, qui ne cessent d’aller et venir, au cours des chapitres, sur les autoroutes franco-suisses, et qui laissent des traces de lumière sur le bitume. Car ce roman laisse des traces, il renouvelle l’imaginaire de l’usine – lieu de la machine mais avant tout lieu des humains, pour le modifier, le transformer, cet imaginaire ; un roman qui fait également état d’une catastrophe sociale qui se joue dans le silence et l’indifférence ; il donne à ressentir la fatigue morale et physique quand bien même, je cite, p. 44 : « il n’est plus question de fatigue, simplement d’ouvrir les yeux, de les fermer et de les ouvrir à nouveau. »

Ouvrir les yeux sur des hommes et des femmes qui tournent en rond, comme des comètes, répétant les mêmes gestes vide de sens. Je cite encore, p. 88 « on ne sait même pas ce qu’on fabrique ici de toute façon » ; et Romuald qui répond « C’est pas important ça, on s’en fout. Ce que je dois vous expliquer, c’est les conséquences. » Et c’est là, peut-être, l’une des grandes leçons de ce roman : seules comptent les conséquences.

Mais au sortir de ce livre, je dois donner tort à Romuald. Parfois, ce qui est fabriqué compte ; et lui, Thomas Flahaut, il sait parfaitement ce qu’il fabrique – et ça s’appelle littérature. Ce roman n’est pas un divertissement, il n’a pas fonction ni objectif de nous éblouir, mais plutôt de nous éclairer. Et ces personnages que tu as dessinés, Cher Thomas, dans une langue précise et rugueuse, ils nous pénètrent durablement. Ces Nuits d’été que tu nous as livrées, on détesterait les vivre, mais on serait heureux de les avoir vécues. Bravo pour ce merveilleux roman.

Matthieu Corpataux

26 août 2021 (deux jours après la fin des Perséides)